Je suis partie aujourd’hui
Les soins palliatifs à domicile ou le dernier train avant le bleu du ciel par Franca Maï
Franca Maï : Fleurs vénéneuses extrait Crescendo (vidéo)
" Ce court texte est extrait de "Peripeteïa".
L’auteur s’honore de ce qu’un tel manuscrit ne voisinne pas sur les étals de l’ennui, au côté de trop de livres qui consacrent l’indigence et la putasserie des littérateurs, là où les seules ambitions marchandes des professionnels ont trouvé de bien médiocres lecteurs. Il y a quelques corruptions à ne rien dire, à faire étalage d’une déraison qui sert la raison des boutiques du divertissement. A n’en pas croire rien ne se dit vraiment qui soit passé sous silence. Il semblerait qu’on m’ait fait le reproche de manquer de fond, c’est dire qu’on a tant fait commerce d’un tel fond, qu’on est incapable de supposer qu’il y ait dans la tentative de refus plus qu’une tentation d’en finir avec le vieux monde, un énième coup d’épingle qui participe de son écroulement ; ce en quoi je ne saurai me substituer aux égotistes qui n’en demandent pas tant. La honte n’accable jamais que ceux qui tiennent pour indépassable cet horizon où, en fin de compte, l’on s’échoue comme la luciole attirée par des lumières artificieuses se fracasse contre une vitre qui à jamais lui interdit de pénétrer là où elle veut aller. De tels obstacles, les mêmes toujours, sont conçus par des hommes. En sorte que là où l’homme a fait et mal fait, d’autres peuvent le défaire."
Que deux journées sont courtes avec des êtres qu’on aime
A Sabine et Olivier
Le moindre compromis de chacun à la Vie renforce la compromission du tout et retarde d’autant plus le renversement du vieux monde, inéluctable, qu’un tel monde obéit à une logique de mort.
"La presse française ne parle que de deux choses : les politiques et les autres grands criminels" (Stirner)
Les larmes viennent d’autant plus inopinément, devant un paysage fastueux, qu’on sait d’avance, pressé par les contraintes intolérables de la sous-mort, qu’il est à jamais perdu parce que c’est à cet instant que nous en saisissions tout le rayonnement.
L’irruption de sa magnificence achevait en nous la neurasthénie et l’ennui ordinaires de l’homme moderne sommés à de plus vils devoirs.
A ce moment rare nous nous possédions tout à la fois pleinement comme l’arbre et la falaise, la mer et la végétation nous parcourent, "je suis tout cela que je vois et le suis à cet instant si parfaitement que je rejoins des temps immémoriaux où les nervures du chêne étaient les miennes propres".
Les larmes se dispersent d’autant plus qu’elles doivent d’avoir trop pleuré se taire et les noduleuses angoisses reparaissent si prévisibles à l’instant où la vie nous quitte qu’on pourrait en devancer la survenance en s’abstenant à jamais de revoir paraître la main des adieux à la fenêtre, minuscules silhouettes des amis laissés à quai, comme ils nous y laissent.
Et la faux vous fera d’autant plus payer vos excès, que la suffisance et l’insouciance que vous avez mis à être vivant, tout alentour incline à la mort, à commencer par l’organisation mortifère de la survie.
La dégradation progressive de rapports humains de plus en plus inféodés à la toute puissance marchande raréfie les moments de vies authentiques. Ils sont si rares que l’on s’étonne du brouillard et des grisailles dissipées, de l’ébahissement une joie hystérique saisit, décuplée et asphyxiante.
Il faut faire vite.
A s’empresser c’est avec maladresse qu’on cultive ces instants rares, on s’essouffle à les poursuivre, à les rattraper, à les perpétuer. On ne sort jamais de l’asphyxie, ni dans le joie haletante à vivre la vie, ni dans la lutte suffocante à combattre la mort, ni dans la résignation où point l’angoisse.
Avez-vous remarqué combien l’on s’époumone débraillé, braillant, surexcité dans toutes ces libations qui se donnent dans les villes ?
Le temps leur est compté, la distraction est programmée. Ces deux jours du week-end c’est le jeu de la vie et de la mort qui sans cesse se rejouent. Comme on ne commande pas de respirer on ne commande pas de vivre et la mort y gagne à coup sûr à laquelle se consacrent exclusivement les Empires marchands.
L’oubli seul pourrait illusoirement pourvoir à la vie dit-on, mais l’oubli de soi, des autres, d’une écrasante réalité et de déchirements extrêmes, les oublie-t-on jamais vraiment ?
N’infléchissent-ils pas le cours de l’oubli même ?
Et l’oublierait-on se serait pour mieux s’y casser la gueule dans un déferlement émotionnel qui autorise toutes les folies, tous les abus et consacre le règne suprême des plaisirs égoïstes dans une surenchère d’hystéries qui vous font jusqu’à oublier que c’est ainsi la Bête noire que vous continuez de nourrir. Il n’y a pas plus de fraternité et de solidarité, de partage et d’amour qu’il n’y a d’authentiques désirs de face à face avec les êtres et leur vie dans ces fêtes votives de la paroisse sainte distraction qu’il n’y a d’humanité dans les froids calculs marchands. Tout y est à l’encan, à qui mieux mieux et sous le prétexte fallacieux de « passer un bon moment » rien ne se construit et l’on peut même dire que s’y consume la rage accumulée alors que, malgré vous, se fomentait contre l’Empire marchand et ses stipendiés un de ces plans qui enraille la Machine et auquel on vous invitera à participer. Comme il n’est de meilleurs plans d’embrasement de l’Empire des comptables que dans l’authenticité, c’est sans calculs et sans ruses, au milieu des décombres, là même où l’on vous a contraint à la soldatesque et au service, que point déjà la plus inattendue des graces.
Les cadavres et le sang n’entament pas plus l’omnia vincit amor des insurgés de la Commune, d’André Leo à Jules Vallès, qu’ils ne soumettent les rêves de Peter Ibbetson ou les déserteurs amoureux du film de Peter Watkins « The Gladiators ».
La Machine s’affole de ce que la mise à mort des récalcitrants jamais ne les ralliera à sa cause.
l’Amour dis-je, ni l’accouplement selon les rites de la concurrence et du plus offrant, ni l’union raisonnable des bras sédentaires de l’assurance tous risques, mais l’Amour, celui de l’inconnu, du grand saut en avant car vous le savez tous il est si parfaitement illusoire de s’illusionner sur ses raisons et la raison de l’autre qui déjà est un autre, qu’on ne peut guère plus aimer que dans l’abstraction la plus complète ;